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Qualup : Une imprimante 3D Delta et un extrudeur bi-matière

philippe boichut

Philippe Boichut (crédit photo : 3dprintingindustry)

Dans un marché de l’impression 3D aujourd’hui largement dominé par les Etats-Unis et la Chine, la France peine encore à s’imposer. Un constat sans équivoque mais qui ne doit pas pour autant occulter les atouts de notre pays et les initiatives qui fleurissent ici et là dans l’hexagone. Preuve que l’impression 3D en France ne se limite pas à Sculpteo et à Prodways, la société saône-et-loirenne « Qualup » vient d’annoncer le lancement prochain d’un extrudeur bi matière révolutionnaire ! Toujours soucieux de relayer ce genre de projets novateurs à la sauce Made In France, PRIMANTE3D est allé à la rencontre de son fondateur Philippe Boichut. Ce fabricant français à qui l’on doit déjà la Delta Spiderbot, revient sur la genèse de son entreprise, livre quelques analyses techniques et dévoile les tenants et aboutissants de ce procédé étonnant.

« Nous avons travaillé presque 1 an et réalisé 7 prototypes avant de trouver une solution accessible et économique… »

Bonjour Philippe, pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Comment devient-on le fondateur d’une société telle que Qualup ?

C’est un peu long à expliquer, ma formation initiale est dessinateur industriel. Nous avons dirigé, mon épouse et moi,  pendant plusieurs années un Bureau d’Etude Mécanique (12 années en conception de machines spéciales, moules d’injection plastique et pièces techniques), notre bureau d’étude à été un des premiers à utiliser la CAO (je parle des années 80, je conçois des produits depuis 1978).

J’ai ensuite acquis une expérience en FAO, pour finalement occuper un poste de responsable du développement chez un des plus grands éditeur CFAO Français (leader mondial dans son domaine), cette expérience m’a permis d’acquérir des compétences en GCode. Mon tempérament faisant que je n’étais pas  toujours à l’aise dans un grand groupe, nous  avons  décidé de recréer une société.

Myriam, mon épouse, a une grande expérience en organisation, gestion de production,  gestion financière et surtout elle possède une chose que l’on apprends pas à l’école : beaucoup de bon sens. Elle est d’origine Ardèchoise, vous savez les Ardéchois, comme beaucoup d’habitants de régions où la vie était rude au début du siècle dernier, ont souvent les deux pieds qui posent bien par terre ;-). Nous formons à tous les deux une équipe très efficace.

Dans quelles circonstances avez-vous découvert l’impression 3D ?

J’ai toujours été passionné par la technologie, au début des années 90, Myriam et moi  exposions au CeBit d’Hanovre, un salon gigantesque de 15 jours,  notre stand était en face du stand d’une des premières imprimantes 3D. C’était magique de pouvoir créer des pièces à partir d’un simple fichier numérique en apportant juste la matière nécessaire. Depuis, j’ai toujours surveillé du coin de l’œil cette technologie, et lorsque le projet RepRap a démarré, grâce à  l’excellente idée du Dr Bowyer, j’ai commencé à vraiment m’y intéresser, ensuite comme beaucoup de personnes… la construction d’une première RepRap, qui a permis de tester la viabilité des logiciels et firmwares, puis un premier proto XYZ, puis un proto Delta (merci à Johann C. Rocholl  pour son travail exceptionnel…)

technologie delta

Qu’est-ce que la technologie Delta et quelles sont ses particularités ?

La technologie Delta a été inventée par le docteur Clavel de l’université de Lausanne il y a plus de 20 ans, le brevet est dans le domaine public maintenant. Cette technologie, principalement utilisée dans des robots ‘Pick&Place’ dans l’alimentaire ou le médical, apporte plusieurs avantages dans le cas d’une imprimante 3D :

–  Grande précision de positionnement
– Très faibles masses en mouvement, aucune flexion ni torsion de la tête d’impression
– Câblages et maintenance simplifiée (pas de moteur mobile, peu de câbles…)
– Simplification de la conception, il suffit de dessiner 1/3 de la machine et de copier en CAO.
– Réduction du nombre de composants,  c’est la seule technologie qui permet d’avoir les 3 axes identiques.
– La pièce imprimée est fixe ce qui autorise une ventilation/chauffage homogène, et des masses en mouvement constantes, garantissant une très bonne qualité d’impression. Par exemple l’enceinte cylindrique de la SpiderBot permet une distribution uniforme des flux d’air autour de la pièce et réduit les déformations des pièces (surtout pour l’ABS).

imprimante spiderbot

Comment est née la Spiderbot ?

Petit à petit… prototype après prototype, chacun étant une évolution du précédent, chaque prototype corrigeant les défauts de la version antérieure. Ensuite nous avons réalisé une présérie de 5… Jusqu’à obtenir un produit industrialisable et commercialisable. Nous avons tout misé sur la qualité  des pièces imprimées et proposons des solutions techniques innovantes pour y  aboutir :
-Extrudeur exclusif DualDrive
-Rotules magnétiques ‘maison’ et bras carbone
-TTS (Système Delta à 3 Sphères)
-Enceinte fermée et chauffage de pîèce
-Plateau chauffant en PEI

et maintenant notre dernière solution : Double Tête Pivotante…

TSS

Système TSS

Quels sont les atouts et les limites de ce modèle ?

Nous proposons une des rares imprimantes 3D de technologie  RepRap qui permet d’imprimer des pièces relativement massives en ABS. Grâce à notre Lit chauffant en PEI et à notre système de maintient en température de la pièce durant l’impression (merci à la technologie Delta), la pièce se refroidit lentement et ceci réduit les déformations. Cette technique n’est pas nouvelle car elle est utilisée depuis plusieurs dizaines d’années dans la plasturgie mais elle convient très bien à une imprimante Delta.

Notre système exclusif  TSS (Three Sphere Systems), une amélioration de la technologie inventée par le Docteur CLAVEL, permet un positionnement extrêmement précis de la tête d’extrusion sans torsion ni flexion de la tête.  En effet , comparé à la technologie Delta standard, notre tête d’extrusion est maintenue sur uniquement 3 sphères par 6 rotules magnétiques de notre fabrication, garantissant un positionnement parfait et sans jeux de la tête.

La limite de la technologie Delta est principalement le volume d’impression. Le volume de la SpiderBot est de 5800cm3 (diamètre 180mm x 200 mm de haut). Toutefois, j’émets de grandes réserves quand aux volumes d’impression. Beaucoup de personnes désirent une machine capable de grands volumes, mais ne savent pas qu’en impression 3D, chaque fois que l’on double la taille d’une pièce, l’on multiple le temps d’impression par 4 à 8 selon la géométrie. Par exemple une pièce technique de 30x15mm qui s’imprime en un peu moins d’une heure, s’imprimera en 5 heures 45 heures si l’on double sa taille et nécessitera 29 heures si l’on redouble sa taille. Bien sûr, ce n’est pas valable partout, en architecture par exemple, il est nécessaire d’obtenir de grandes pièces relativement « allégées » (seulement les murs sont imprimés). Dans ce cas notre imprimante n’est pas vraiment adaptée.

Qu’est ce qui a été le plus difficile ?  Au-delà des difficultés techniques, j’imagine que faire du Made In France doit engendrer pas mal de contraintes ?

Notre idée de base était de fabriquer en France, n’ayant pas les moyens d’investir dans les machines de production, nous nous sommes tournés vers une sous-traitance locale (presque toute la SpiderBot est fabriqué dans la région Mâconnaise). Nous sommes bien conscient, avec nos moyens et en essayant de fabriquer en France, de ne pas pouvoir concurrencer les grands fabricants US, ni la production de masse chinoise. Nous avons fait le choix délibéré de construire une machine différente, innovante et focalisée sur la qualité d’impression. Toutes les études, prototypes et mise au point sont fait en interne, toute la production est sous-traitée. Nous sommes équipés d’un atelier avec fraiseuses,  tout pour réaliser les prototypes et nous avons tissé un réseau de partenaires extrêmement bien équipés des dernières technologies de production et très réactifs.

Fabriquer une imprimante 3D en France n’est pas toujours aisé, le coût de la main d’œuvre, réduisant considérablement les marges, il a fallut adapter la conception du produit pour pouvoir le fabriquer en France avec le minimum de MO. Nous utilisons au maximum la découpe laser et les usinages CNC, qui permettent d’avoir une qualité constante et peu ou pas de frais d’outillage.

Bien sûr, tout n’est pas fait en France, par exemple, les moteurs et les alimentations viennent de Chine. Il n’est plus possible de trouver ces produits en France à des tarifs permettant de s’aligner sur le prix marché.

Le plus difficile a été la mise en place du contrôle qualité avec nos partenaires, il a fallut qu’ils intègrent nos exigences de qualité, presque tous ont su s’adapter et nous formons maintenant une équipe solide et fiable, un grand merci à tous ceux qui ont quelques fois  supporté mes « coups de gueule ».

spiderbot eco kit

Quelle est votre gamme d’imprimantes et qui sont vos clients ? Principalement de l’exportation ?

Nous avons un produit qui se décline en 2 versions plus  3 options.
Nos clients se répartissent en 3 catégories :

-Des particuliers passionnés de technologie, qui recherchent la qualité d’impression et l’innovation.
-Des petites entreprises et PME qui ont besoin d’imprimer des pièces techniques et complexes en ABS ou PLA.
-Des universités un peu partout dans le monde, cela va de l’Australie en passant par l’université de New-York à Abu-Dhabi, l’Europe entière, les pays nordiques… La plus lointaine est dans une université en Nouvelle Zélande. Nous réalisons environ 80/85% de notre chiffre d’affaire à l’export.

Il y a quelques jours vous avez annoncé le lancement d’une nouvelle tête d’extrusion bi matière révolutionnaire. Pouvez nous en raconter la genèse et expliquer le principe ?

Imprimer avec une double tête n’est pas aussi simple que cela puisse paraître, en effet il ne suffit pas de doubler l’extrudeur et la tête d’extrusion pour obtenir quelque chose qui fonctionne bien. En fait les buses ont toujours tendance à couler, la matière en fusion dans la buse inutilisée ayant tendance à goutter créant une boule de matière fondue qui touche sans cesse la pièce et crée des marques sur la pièce en cours d’impression.Il a fallut trouver un système très simple brevetable et différent des brevets existants des grands constructeurs d’imprimantes 3D.

Nous avons travaillé presque 1 an  et réalisé 7 prototypes  avant de trouver une solution accessible et économique… Cette solution entre en beta test prochainement et nous remercions chaleureusement nos 10 intrépides clients beta testeurs pour leur confiance.

tête d'extrusion bi matière
matières

Quelles sont vos ambitions avec ce procédé ?

Nous ne faisons plus de plan de marketing,  et avons définitivement arrêté de perdre du temps à faire des prévisions qui ne sont que des suppositions. Nous essayons simplement de créer une très bonne imprimante 3D RepRap, la meilleure possible.  Nous espérons que notre technologie unique va nous permettre d’émerger de la multitude de constructeurs mondiaux (je n’ai pas recompté récemment, mais il y a quelques mois nous étions plus de 600 constructeurs dans le monde).

Nous restons persuadés que, si notre machine fonctionne très bien, les clients sauront faire la différence et comprendront l’avance technologique de nos produits. Notre plan de développement est bien défini, nous ne sommes pas pressé ni par le banquier, ni par nos actionnaires (nous possédons 85% des parts de Qualup SAS), et nos finances sont saines.

Les Hollandais ont plusieurs années d’avance sur nous Français… »

Côté fabricants quel regard portez-vous sur l’état de l’impression 3D personnelle en France ? Ne vous sentez vous pas un peu seul… ?

Je ne suis pas sûr d’être bien placé pour parler de cela, car je n’ai que très peu visité les autres pays. Toujours est-il qu’il semble que certains pays soient beaucoup plus en avance. Par exemple : nous avons exposé sur 2 salons seulement, un en Hollande en Avril dernier, et un en France en Juin. Nous avons étés impressionnés par la qualité, le niveau technique et  la pertinence des questions lors de ce salon à Eindhoven comparé à en France.

Les Hollandais ont plusieurs années d’avance sur nous Français. Il est vrai que nous nous sentions un peu seul en Hollande… Nous avons rencontré des personnes de l’Europe entière, mais seulement 4 ou 5 visiteurs Français. Il y a plusieurs fabricants Français, mais nous n’avons que très peu de contact, cela à l’air de seulement démarrer… Toutefois, nous démarrons un partenariat avec une société de la région bordelaise qui réalise des filaments à façon et allons très prochainement distribuer leurs produits.

Maped choisit la SpiderBot de Qualup

Le leader mondial des fournitures scolaires Maped, a choisi la Spiderbot pour faire du prototypage.

Alexandre Moussion